À l’heure où nous publions cet article (janvier 2016), des représentants syndicaux assistés d’avocats et de comptables, sont en train de tout mettre en oeuvre pour que le fleuron de l’industrie des toiles métalliques française soit maintenu sur le site de Sélestat.
Hélas, l’entreprise qui s’est développée au pied de notre château d’eau vit les derniers moments de sa prestigieuse histoire.
Depuis qu’elle est gérée par une succession de fonds de pension étrangers, c’est le déclin.
De plan social en plan social.
Au rythme d’un plan social tous les trois ans depuis 2000, l’entreprise vit sa dernière crise dans une atmosphère fantomatique … Imaginez des couloirs silencieux, des bureaux déserts, des secteurs entiers totalement inoccupés…
Actuellement, il ne reste plus que 94 personnes employées dans cette immense usine.
Lors du plan social de 2013, il était pourtant question de faire de Sélestat un pôle d’excellence pour l’innovation, et une somme conséquente a été investie à cet effet ; les financements de ce plan d’excellence ont bien été actés, mais rien n’a jamais été mis en oeuvre à Sélestat ; depuis, les 22 employés du service Recherche & Développement ont été informés de la suppression pure et simple des 3 entités qui constituent leur service :
- le bureau d’études – 7 personnes ;
- le service de construction de machines pour les fabricants locaux – 10 personnes ;
- et l’atelier prototype laser (5 personnes)
Le site de Sélestat tisse des fibres de polymères pour produire des tapis pour les machines de l’industrie papetière, mais il abrite surtout ce service d’expertise et d’innovation à l’origine du maintien de la société à la pointe de la production de toiles métalliques.
Le grand paradoxe capitaliste
Le service R&D de Sélestat conçoit les machines pour l’intégralité du groupe et lui permet de rester compétitif dans son secteur ; ses projets sont même créateurs d’emploi ! À tel point que la société – qui est toujours bénéficiaire – a perçu grâce au pôle d’excellence de Sélestat la somme de 270 000 € en Crédit Impôt Recherches (CIR) en 2014 . Or le CIR, est une mesure générique de soutien aux activités de recherche et développement (R&D) des entreprises, et si ALBANY a pu toucher cette somme, c’est uniquement grâce à ses salariés de Sélestat dont on veut maintenant se séparer.
On encaisse en France … et on délocalise en Suède.
On conçoit en France…. et on délocalise en Chine
Voilà le niveau de réflexion stratégique des dirigeants du capitalisme mondial…
Mais la troisième étape est déjà en marche :
On décapite l’usine de son service R&D…. et on la ferme !
« Emmenez-nous avec vous ! »
Le niveau d’inquiétude parmi les 50 salariés restants est tel qu’ils en viennent à souhaiter leur licenciement : en effet à moins de 50 salariés, il n’est même plus nécessaire de se soumettre à un plan social, les employés seraient tout simplement mis à la porte.… Personne n’imagine plus le maintien du site de Sélestat ; tous ont en mémoire la fermeture du site d’Albany à Göppingen (52 licenciements) pour cause d’excès de charge. Il est évident que le groupe ne va pas continuer d’entretenir un site de 5 hectares pour 50 employés et une production insignifiante pour lui.
Chronologie récente :
Alors que l’entreprise Martel Catala en pleine réussite a compté plus de 650 salariés, ils étaient encore entre 400 et 500 en 2000.
Mais quitter la gestion familiale et se retrouver dirigé par des fonds de pensions américains a des conséquences inéluctables : le groupe ferme les sites français et délocalise.
Depuis 2006, le groupe soumet le site de Sélestat à un plan social tous les 3 ans…
2012
à St-Junien : le 23 février, annonce de la fermeture de l’usine : la direction quitte le site , mais les salariés occupent l’usine ; ils sont rejoints le 1er mars 2012, par Aranud Montebourg , (on est en pleine campagne présidentielle). Les salariés engagent un bras de fer pour préserver le site et leurs emplois ; ils sont farouchement soutenus par des élus locaux qui avaient dénoncé cette fermeture aberrante à Nicolas Sarkozi, alors Président de la République. Le 8 mars, ils obtiennent l’abandon du projet de fermeture.
À Sélestat, seuls les représentants syndicaux se sont battus, sans aucun soutien de la mairie qui ne s’est mobilisée qu’après le changement de gouvernement…
début octobre 2012 :
Le directeur général Europe d’Albany International, Daniel Halftermeyer, affirme clairement : « Le groupe a l’intention de transférer 35% de notre production sur les sites de fabrication nord-américains et asiatiques»
source L’Alsace du 24.10. 2012
18 décembre 2012, nouvelle annonce de la direction qui envisage la suppression de 201 postes sur les 2 sites ; le ministre Arnaud Montebourg reçoit les représentants des salariés d’Albany International, la direction d’Albany International et des élus régionaux.
janvier 2013 : à l’issue d’une rencontre ministérielle, tous les espoirs sont permis… mais exprimés au conditionnel :
« La direction d’Albany aurait aussi garanti la pérennité des deux sites en créant des pôles d’excellence. Elle aurait présenté une projection sur le site sélestadien jusqu’à l’horizon 2020. Un investissement de 2,8 M € devrait y être réalisé pour adapter l’outil de travail.
Ce qui n’empêche pas le député UMP Antoine Herth, également présent lors de la rencontre, de rester mesuré : « Arnaud Montebourg a assuré le caractère irréversible du projet Safran à Commercy et donc du développement d’une activité de l’entreprise Albany en Meuse. Même si Sélestat fait les frais de ce choix industriel, j’ai le sentiment que le site a encore des atouts à jouer. »
Les destins d’Albany et de Safran sont en effet liés par un contrat de partenariat exclusif courant jusqu’en 2030.
extrait des DNA du 31 janvier 2013
—> Sélestat : Recours au chômage partiel pour temporiser.
3 mai 2013 : annonce de la suppression de 126 emplois (sur 227) à Sélestat
Selon le PSE, les deux usines vont maintenir leur activité en devenant des centres d’excellence avec un investissement prévu d’environ deux millions d’euros.
Août 2013 : en guise de cartes postales, plus de 125 employés d’Albany trouvent dans leur boîte aux lettres leur courrier de licenciement…
Janvier 2016 : Clap de fin….
Merci à Charles Gill, un ancien d’Albany, à qui nous devons les illustrations de cet article.
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